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Des métropoles inégales et en mutation

Introduction

Les métropoles, villes de plus d'1 million d'habitants, possédant une forte influence et concentrant les fonctions de commandement, sont souvent des vitrines nationales et ou régionales.

Malheureusement, elles regorgent d'inégalités. Au sein de ces métropoles, du Nord comme du Sud, les fractures socio-spatiales sont extrêmement fortes et peinent à être réduites efficacement. Avec le phénomène de métropolisation, c’est-à-dire le renforcement de la puissance des métropoles dans le monde, l’accroissement des inégalités est accéléré.

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Ces inégalités se manifestent sous la forme d'une bipolarisation sociale :  

  • D'un côté de la ville les activités de service de haut niveau (finance, gouvernance) dont les acteurs vivent dans des quartiers huppés, parfois protégés d'une part, ou fermés (gated communities),

  • De l’autre, les classes moins aisées, qui occupent des quartiers plus déshérités et géographiquement parfois informels.

Saskia Sassen, sociologue et économiste néerlando-américaine, spécialiste de la mondialisation et de la sociologie des très grandes villes du monde, a plus particulièrement exploré ces effets de la métropolisation au niveau mondial, et montre que la sociologie des villes globales fait apparaître un accroissement fort des inégalités.

Définition

Une ville globale étant une ville qui possède une puissance et une influence mondiale.

Saskia Sassen met en outre le doigt sur le fait qu’actuellement, les secteurs économiques dynamiques engendrent une forte proportion d’emplois à hauts salaires ce qui est positif, mais en même temps d’emplois à bas salaires ce qui s’avère problématique car à l’origine d’un supplémentaire renforcement des inégalités.

Problématique

On peut donc se demander comment expliquer que la métropolisation conduise au renforcement des inégalités et dans quelle mesure il est possible de limiter ce processus ?

Nous répondrons en deux parties. La première partie nous permettra de nous questionner sur les effets du processus de métropolisation sur les sociétés urbaines. La seconde partie nous offrira l’occasion de présenter des pistes de solutions.

Pourquoi les métropoles sont-elles marquées par d’importantes fractures socio-spatiales ?

Aux sources des fractures socio-spatiales : plusieurs causes.

Définition

On entend par fracture socio-spatiale une rupture géographique entre les populations qui ont de l'argent et celles qui n'en ont pas. Cette rupture est matérialisée par des coupures entre des parties de la ville sur le plan social et économique.

La ségrégation urbaine, c’est-à-dire la présence d'inégalités dans les villes, existe depuis longtemps et est bien antérieure au phénomène de métropolisation. On peut ainsi dresser une typologie de ses causes :

  • Causes géographiques

  • Causes sociales

  • Causes économiques

Aux origines de la ségrégation urbaine, la géographie des quartiers. D'une manière générale l'altitude, le micro-climat, la vue et les paysages figurent parmi les premiers critères de choix d'implantation des familles. C’est ainsi que les plus fortunés ont les moyens de s’installer durablement dans un site agréable à vivre. De fait, les moins fortunés se dirigent donc vers des zones à la qualité de vie moindre.

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Les causes géographiques sont donc une ségrégation sociale.

Des quartiers riches se forment, l’humain cherchant toujours à être avec ceux qui lui ressemblent. On appelle ceci l'entre-soi, ou l'endogamie sociale. C’est ainsi que les plus fortunés se regroupent dans des quartiers donnés, agréables à vivre et souvent fermés, et les plus pauvres se retrouvent de fait entre eux.

Exemple

Les foyers les plus démunis peuvent bénéficier d’un logement social, ce qui est une bonne chose, mais ils ne sont ainsi pas maître de la localisation de leur logement.

Enfin, il existe des causes économiques. La répartition des populations et des activités au sein des villes a longtemps été dictée par des logiques non économiques mais purement géographiques. On s’installait dans tel ou tel endroit car on suivait la tradition, car on avait des impératifs religieux ou tout simplement car on cherchait la proximité d'un cours d'eau, le fond d'une vallée, etc. Puisque les raisons de l’implantation des familles était liée à des facteurs autres qu’économiques, existait une certaine mixité dans les villes.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. Les services se sont installés dans les centres, les organes du pouvoir, les sièges sociaux, les bassins d’emploi. Ainsi, ces éléments ont fait évoluer les prix des terres : on appelle cela le prix du foncier. Progressivement, certaines zones des villes sont devenues inaccessibles à tous à cause du prix d’un mètre carré.

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Ce sont donc les équipements et la tertiarisation qui ont bouleversé la carte foncière des villes.

Ces éléments anciens doivent maintenant nous permettre de comprendre en quoi la métropolisation a renforcé le processus de renforcement des inégalités dans les villes de nos jours, dans le cadre d'une mondialisation extrêmement agressive.

Les formes et caractéristiques des fractures socio-spatiales.

Propriété

Actuellement, les centres des métropoles abritent les quartiers d'affaires, et sont réhabilités. Les réhabilitations des centres sont au cœur des politiques des métropoles. Les centres sont en effet des vitrines qui doivent donner une belle image à toutes les échelles. Les réhabilitations provoquent ainsi de fortes hausses de prix, les logements, neufs, devenant inaccessibles, et les équipements et services faisant augmenter le prix du foncier.

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Ce sont donc les populations les plus riches qui pourront profiter de ces réhabilitations, dans le cadre de ce qu’on appelle le processus de gentrification des centres, qui signifie que des classes aisées s'approprient des quartiers populaires et chassent leurs occupants historiques. Progressivement, les plus pauvres sont donc éloignés des centres, qui deviennent pour eux, en termes de location ou d’achats de logements, totalement inaccessible.

Ce sont aussi les moins aisés qui subissent ainsi l'augmentation de la distance et du temps de transport entre leur lieu d’emploi et leur logement. 

 Dans le cadre d’une concurrence inter-métropolitaine toujours plus grande, les municipalités cherchent à réaliser des économies permanentes. Pour cela, elles privatisent une partie de leurs services : eau, énergie et transports voient alors souvent leur prix augmenter, au détriment des plus pauvres, qui ne peuvent alors plus en bénéficier au quotidien. 

De fait, les populations les moins aisées sont ainsi regroupées dans des zones données de la ville : celles où les plus riches ne sont pas.

Tandis que dans les métropoles du monde se développent à grande vitesse l'habitat informel (bidonvilles d'Afrique, slums d'inde, favelas du Brésil, etc.)ce qu’on appelle Les gated communities se multiplient.

Définition

On peut traduire gated community par "résidence privée" : on y trouve des gardiens, des systèmes de sécurité, qui permettent aux résidents d’être isolés du reste de la ville. Ce sont ainsi des quartiers tout entiers des villes qui sont réservés aux plus riches, et qui sont parfois littéralement collés aux bidonvilles, tout en étant soigneusement séparés par des barrières de toutes nature !

Exemple

Les États-Unis étant le meilleur exemple en termes de nombre de gated communities, mais l’ensemble des pays du monde, qu’ils soient issus des Nords ou des Suds, sont concernés.

Conclusion

Ces éléments ont ainsi montré que les métropoles sont marquées par une fragmentation marquée. Fragmentation économique comme le montre la réhabilitation des centres, les skyline et les CBD, mais aussi sociale, comme le montrent l’étalement de l’habitat informel et la multiplication des gated communities. 

Aux États-Unis, cette fragmentation est si forte que certaines communautés aisées choisissent de payer les services d’eau, d’énergie, de ramassage des déchets ou d’entretien quotidien, seulement pour leurs résidences, contribuant ainsi à développer l’insalubrité et la grande pauvreté dans leur ville. 

Nous allons désormais voir dans une seconde partie comment faire face à cette fragmentation et quelles solutions proposer.

Quelles solutions apporter pour résorber la fracture socio-spatiale ?

En mettant en place un leadership politique associé à une réflexion géographique et sociologique profonde.

L’inégale mobilité urbaine, et ainsi l’accès lui aussi inégal aux services de la ville, représentent l’un des aspects majeurs de la fracture sociospatiale dans les grandes agglomérations.

Définition

On entend par service l'accès aux infrastructures (routes ; eau courante, égouts ; ramassage des ordures, mais aussi commerces ; soins, etc.)

L'étalement urbain a donc entraîné un allongement du temps de transport et les zones d’exclusion sociale sont de fait les espaces les moins bien desservis. Dans les villes centres des pays développés, les municipalités ont mis en place des pistes cyclables et des lignes de tramway, pour limiter la circulation automobile, mais là encore, les espaces périphériques souffrent d’un manque d'infrastructures permettant une mobilité suffisante de leurs habitants. Plus on s'éloigne des centres et plus la connectivité et l'offre de services est faible.

Il est donc important de renforcer les mobilités entre les différentes zones de la ville afin d’offrir à tous les habitants les mêmes les services. Il existe un certain nombre dans le monde un certain nombre de réussites, notamment en Amérique Latine. Ces programmes, mis en place par des politiques volontaristes ont permis de réduire les inégalités par exemple en termes d'accès à l'eau courante et aux égouts.

Exemple

  • En Thaïlande, le programme Baan Mankong de réhabilitation des " bidonvilles " à grande échelle mené par la communauté a lui aussi beaucoup contribué à réduire les inégalités en termes de conditions de logement, d’accès aux infrastructures et aux services.

  • À Rosario, en Argentine, les politiques ont mis en place une série de mesures qui ont permis de réduire les inégalités au sein de la ville : décentralisation des services, mise en place d'un système municipal de soins accessibles à tous, et développement des parcs et autres espaces publics sont les actions les plus fortes de ce programme.

  • Dans la ville de Manizales en Colombie, au cours des deux dernières décennies, de nombreux maires ont soutenu l'amélioration des conditions de logement pour les groupes à faible revenus, et ont travaillé durement à la réduction des risques de catastrophe pour les plus vulnérables. Leur action fut basée sur le développement des espaces publiques et la mise en place d'un système public de surveillance qui informe les habitants des conditions environnementales dans les différents quartiers de la ville.

Bref, tous ces exemples illustrent l'importance d'avoir un vrai leadership politique capable de rendre des comptes aux citoyens qui sont confrontés aux inégalités les plus graves.

Lorsque la volonté politique est présente sur du moyen terme, et qu’elle est associée à des expertises efficaces, il est possible de réduire les fractures socio-spatiales. Mais l’aspect humain est également à prendre en compte et de nombreux projets ne peuvent être réalisés sans une implication concrète des citoyens eux-mêmes.

En impliquant les citoyens eux-mêmes.

Il n’est pas possible de laisser les pouvoirs publics tout gérer, par exemple, dans le cas où ceux-ci ne souhaiteraient pas endiguer le phénomène de fracture socio-spatiale. Les habitants eux-mêmes sont actifs.

Exemple

En Afrique et en Asie, on a vu des organisations et des associations d’habitants de bidonvilles s’organiser et travailler à la reconnexion des espaces. Ces derniers ont pris des initiatives en réhabilitant eux-mêmes des maisons, en améliorant l'approvisionnement en eau ou en installant des toilettes.

Certains groupes ont même réussi à négocier des terrains à bâtir, gratuits ou à bas prix, ce qui leur a permis de démontrer leur capacité à construire.

D’autres groupes ont réalisé des cartographies et des recensements des quartiers informels en menant des enquêtes dans toute la ville, permettant d'instaurer un dialogue avec les autorités.

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De nombreuses municipalités travaillent aujourd'hui avec les organisations et les fédérations de Slum/Shack Dwellers pour réduire directement un ensemble d'inégalités concernant notamment l'occupation des logements, les infrastructures, les services, le respect du droit et la participation.

Tous ces programmes sont liés directement ou indirectement à l'un des aspects les plus profonds de l'inégalité - la discrimination subie par les personnes vivant dans les " bidonvilles " ou les quartiers informels.

Exemple

Par exemple, le maire de la ville d'Iloilo, aux Philippines, a noué un solide partenariat avec la Fédération des sans-abri des Philippines, qui aide à loger ou reloger ceux dont les maisons ont été endommagées ou détruites par les inondations et qui travaille sur la prévention des catastrophes.

Cependant, dans la majorité des cas, la plupart des grands projets des métropoles des pays développés tentent d’accroître la part des espaces verts, de promouvoir les modes de transport doux, de construire des immeubles plus écologiques. Il en va de même, de manière plus symbolique, dans les métropoles des pays des Suds.

Au Nord, l’impératif de mixité sociale s’impose de plus en plus contre la ville fragmentée : les autorités tentent de reloger une partie des habitants victimes des rénovations urbaines.

Dans les pays des Suds en revanche, les mesures d’éviction des habitats informels perdurent, notamment à l’occasion de grands événements comme les Jeux olympiques (favelas de Rio de Janeiro). Il s’agit alors de masquer la pauvreté. Un énorme travail reste donc à réaliser.

Conclusion

  • La métropolisation est donc à l’origine d’un renforcement des inégalités socio-spatiales.

  • À l’échelle locale, la métropolisation a entraîné un étalement urbain qui a recomposé les espaces intra-métropolitains.

  • Cet étalement est à l’origine d’une accentuation des contrastes et des inégalités au sein des métropoles à cause de la relocalisation des populations en fonction des revenus.

  • La fracture socio-spatiale est difficilement résorbable car ses origines sont multiples

  • Il existe des solutions concrètes et des réussites, comme le montrent plusieurs exemples de villes du Nord comme du Sud.

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